Pourquoi Brazz ?

Très vielle histoire qui plonge dans un passé à présent assez lointain.

 

En 1905, un de mes grand-pères (voir Têtes de bois !  [à paraître]) jeune et farouche républicain, avait confectionné une bombe, avec des camarades de classe de son lycée, ensuite déposée contre la porte de l’Évêché, chose qu'il a beaucoup regretté par la suite car elle aurait pu blesser des gens...  Toujours est il que ce gros pétard  élaboré en travaux pratiques de chimie de terminale, à une époque toute agitée par les combats de la laïcité ou de l'affaire Dreyfus, ne fit d'autre mal que de fêler du chêne mais une émotion considérable dans une ville de province. Bien entendu, la gendarmerie ne mit guère plus d'une demi heure pour trouver les coupables, presque tous enfants de notables locaux.. De ce fait, et de manière expéditive, ils eurent le choix entre la prison, l'engagement dans l'armée ou l'expatriation vers l'Algérie.

 

C'est ainsi que ce grand père arriva en 1905, un peu malgré lui, pour faire partie de la première promotion d'élèves de ce qui est à présent devenu l’École Nationale Supérieure Agronomique d’Algérie, et venait à l'époque d’être créée.

 

Et c'est à la même époque que le grand explorateur français d'origine italienne, Savorgnan de Brazza, était là, de retour après un épuisant voyage au Congo où le gouvernement l'avait envoyé en désespoir de cause, pour enquêter sur les exactions innombrables commises par les sociétés concessionnaires.

 

Brazza, Pietro Paolo Savorgnan di Brazzà, à la grande différence du contemporain Stanley qui n'était qu'une fripouille attirée par l'argent, sans morale et s'appuyant sur la force pour servir les intérêts du roi des Belges, Brazza donc avait la confiance et l'amitié des peuples de ce qui devint le Congo, en particulier du Royaume de Tio. Il ne s'entourait pas de meutes de soldats et de mitrailleuses, mais établissait des liens de coeur (notable exception parmi tous les aventuriers aux dents longues de l'époque, avec ou sans uniforme). C'est pourquoi, à cause de tette connaissance très approfondie,  le gouvernement l'avait choisi plus tard afin d'enquêter sur un scandale devenu public, mais s'il pensait plus ou moins enterrer l'affaire après quelques sanctions de pure forme, il fut cruellement déçu par l'honnêteté de Brazza et sa grande amitié avec les peuples, aussi son rapport final était il une bombe au vitriol !

Brazza qui avait d'ailleurs été évincé et même mis d'office en disponibilité, à cause de sa trop grande humanité, son honnêteté et ses amitiés dans la population congolaise, ne manquait pas d'ennemis dans les  milieux colonialistes aussi bien que chez des officiers ambitieux qui se firent un nom par le sang des populations. Il y eu même des campagnes de presse à son encontre car il freinait le développement économique et était hostile aux colons. Bien sur !

 

Tombé malade au retour, alors qu’il avait toujours eu une santé de fer durant ses nombreux périples africains, Brazza mourut sur le bateau entre Alger et Marseille, sa femme qui l'avait accompagnée a toujours pensé qu'il avait été empoisonné comme trop gênant. Toujours est il que le rapport (des milliers de pages fort précises) fut saisi au débarquement, déclaré secret et finalement égaré pendant 60 ans !! La France hypocrite et avide de héros voulu le transférer au Panthéon, mais sa femme, descendante de La Fayette, s'y opposa, on le comprend, et finalement il fut inhumé à Alger. Beaucoup plus tard, en 2006, les corps de Brazza et sa famille furent transférés dans un mausolée au Congo où ils reposent, mais c'est une autre histoire.

 

Une des gloires -pacifiques- de Brazza fut sa politique de libération des esclaves, d'ailleurs il fut surnommé Le Père des esclaves, et la future ville de Brazzaville fut initialement peuplée d'esclaves libérés.  Son "touche ce drapeau et tu sera libre" me faisait naïvement rêver quand j'étais enfant .

 

Car bien sur, comment ce grand père au sang bouillonnant -marque de la famille- n'aurait il pas été fasciné par le personnage et sa légende ainsi que sa fin tragique et injuste . Et tout naturellement, c'est un sujet qu'il aborda souvent avec moi, son  pourtant tout jeune premier petit fils,  et cela m'a marqué d'une empreinte indélébile.

 

Donc, c'est assez spontanément que le nom de Brazz, modeste hommage à son souvenir, m'est monté aux lèvres quand j'ai cherché un nom de plume, mon seul orgueil et titre de gloire au milieu de multiples engagements, a été de pouvoir plus tard dire à mon tour, à des dizaines de victimes de trafiquants, "Pousse cette porte -celle de l'ONG- et tu sera libre"!

 

Il est vrai que je serai toujours un enfant...

 

Pour finir, ce magnifique hommage de son ami Charles de Chavannes (1853-1940)

 

Mais vous êtes de ceux qui marchent sans relâche,
Qui vont droit devant eux sans orgueil et sans peur,
De ceux qui sans fixer de limite à leur tâche,
Ni vouloir de repos retournent au labeur.
Vous êtes de ceux-là qui n'ont aucune envie,
Qui d'argent ou d'honneurs n'ont jamais eu souci
Vous êtes de ceux-là qui dépensent leur vie
Et n'ont jamais cherché même un simple merci…
Mais vous savez aussi qu'il faut aimer et croire,
Car votre cœur est d'or, si votre âme est de feu".

 

Quels hommes, et quels exemples !